Boris Johnson dans le sillon de Benjamin Disraeli, le Premier ministre Juif de la reine Victoria

« Aucune vie ne demande à être écrite autant que la sienne, et aucune n’est aussi difficile, voire impossible, à écrire. » William Gladstone.

Fils de l’écrivain Isaac D’Israeli et petit-fils d’un réfugié Juif italien né dans un ghetto non loin de Venise, à priori rien ne laissait présager à Benjamin Disraeli une brillante carrière politique, alors réservée aux classes supérieures, aux aristocrates sortis d’Oxford ou de Cambridge, ou aux propriétaires terriens.

Modeste enfant du peuple, Juif baptisé anglican à l’âge de douze ans, ne disposant d’aucune fortune mais ambitieux et volontiers opportuniste – il admire le cardinal Wolsey et le cardinal Alberoni –, il se lance tour à tour dans une carrière d’écrivain – son premier roman Vivian Grey sera d’ailleurs un succès, devient apprenti dans un cabinet d’avocats, et après avoir ôté l’apostrophe de son nom s’essaie à la spéculation en Amérique du Sud. Mais le krach boursier de 1825, qui entraina avec lui la fermeture de dizaines de banques, mettra un terme définitif à ses projets.

Endetté et ne pouvant rembourser ses créanciers qu’en empruntant à d’autres, oubliant combien il doit à qui tant les sommes dues atteignent des sommets, il effectuera de nombreux séjours en prison, et ces dettes planeront autour de lui toute sa carrière.

Puis le démon de la politique le démange. Même si, comme dans ses choix professionnels et privés, ceux-ci sont plus guidés par l’opportunisme que par une conviction profonde. Dire qu’il a épousé Mary Anne Wyndhall Lewis pour son hôtel particulier de Belgravia et sa rentre annuelle de 4.500 livres serait peut-être excessif, mais toujours est-il que sa nouvelle situation lui ouvre les portes d’une upper class jusque-là restées closes.

Lorsqu’aux débuts des années 1830 il s’oppose violement à Robert Peel au sujet de l’abrogation des Corn Laws, limitant l’importation de céréales, Benjamin Disraeli fait une entrée fracassante sur un échiquier politique duquel il devient une figure incontournable.

Elu aux Communes à 33 ans, ministre, puis deux fois Premier ministre d’un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais, proche de la reine Victoria à qui il offre le titre d’impératrice des Indes, il investira dans le Canal de Suez, endroit stratégique réduisant de plusieurs semaines le voyage entre le Royaume Uni et les Indes, instaurera le Reform Act en 1867, et fera entrer le parti conservateur dans l’ère moderne.

Benjamin Disraeli et la reine Victoria.
Benjamin Disraeli et la reine Victoria.

Premier chef de gouvernement non-aristocrate de son époque, Victoria palliera à ce manque en le nommant comte de Beaconsfield – ce titre sera le premier et le dernier – en 1876.

Benjamin Disraeli s’éteint quatre ans plus tard. Celui qui avait vécu toute sa vie avec l’ombre d’un passé carcéral et de dettes colossales laisse derrière lui une fortune qui équivaudrait aujourd’hui à neuf millions de livres, soit plus de onze millions d’euros.

Ce destin exceptionnel et passionnant de cet enfant du peuple qui côtoiera les plus grandes personnalités de son époque, façonnera le visage actuelle de la politique britannique, et deviendra un ami proche de Victoria. L’étiquette lui interdisant d’assister à ses funérailles, la souveraine se rendra sur la tombe de son ancien Premier ministre quatre jours après son enterrement.

Boris Johnson voulait être un grand premier ministre, qui marquerait l’histoire du Royaume-Uni, à la manière d’un Disraeli. Aujourd’hui, Boris Johnson rend cette ambition possible en héritant de la plus grande majorité conservatrice depuis les années Tchatcher.

Boris Johnson a déclaré au lendemain de son écrasante victoire devoir « reconnaître l’incroyable réalité (de parler) maintenant en tant que Parti conservateur « one nation », littéralement pour tout le monde, de Woking à Workington, de Kensington à Clwyd South ». Johnson fait ici référence à la doctrine du conservatisme « one nation » popularisée par celui qu’il cite souvent comme son modèle et qui a renversé l’échiquier politique en son temps, Benjamin Disraeli.

Benjamin Disraeli en 1878. Cornelius Jabez Hughes/Wikimedia

Disraeli et le conservatisme social

C’est à Disraeli qu’on doit cette idée d’un conservatisme qui s’adresserait à toute la nation, une thèse qui bouleverse à l’époque la droite britannique. Celle-ci avait en effet historiquement soutenu la monarchie contre le Parlement. Au XVIIIe siècle, le parti Tory consent à une montée de l’influence du Parlement, mais continue de défendre les intérêts des propriétaires terriens et du clergé. Ce parti est dissous en 1834, tirant les conséquences de son incapacité à s’opposer à la première réforme électorale depuis les Tudor, qui donne le droit de vote aux villes industrielles du Nord. Il est alors remplacé par le parti conservateur, qui accepte l’idée d’une réforme des institutions. L’étiquette « tory » continue néanmoins à être utilisée et devient synonyme de conservateur.

Ce parti aurait rapidement pu sombrer dans les oubliettes de l’histoire sans le génie politique de Disraeli. Premier ministre excentrique, Disraeli est le premier à comprendre que la classe ouvrière pourrait massivement voter à droite, à condition d’un changement radical de cap. Il propose une politique sociale, notamment en matière de santé. Le parti se présente comme défenseur de la nation tout entière et non plus comme celui d’une caste. Il remporte les élections en 1867 et Disraeli devient premier ministre en 1868, et reste dans l’histoire de la Grande-Bretagne comme l’un des plus grands hommes politiques.

Johnson n’a cessé de se référer à Disraeli depuis ses débuts en politique, promettant de renouveler cette promesse d’un conservatisme social. Va-t-il le faire à présent qu’il dispose d’une large majorité ? Son premier discours après l’annonce partielle des résultats peut le laisser penser. En effet, il déclare qu’une fois qu’il aura mené à bien le Brexit, il pourra enfin se concentrer sur le sort du service national de santé (NHS) qui, dit-il, est « la priorité de ce gouvernement conservateur one-nation ». Pour donner des gages à ce positionnement « one nation », il s’est engagé, une semaine après les résultats, à augmenter le budget du NHS de 34 milliards de livres sterling durant son mandat.

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