
Cet outil facile d’emploi, peu coûteux, permet aux scientifiques de couper l’ADN exactement là où ils le veulent pour par exemple créer ou modifier une mutation génétique, et ainsi soigner des maladies rares. En application pratique, ces ciseaux à ADN créés en 2012 ont permis à des chercheurs californiens d’améliorer la vision chez des rats atteints de cécité.
Des Chinois ont quant à eux créé une race de vache sans cornes. Et aux États-Unis, une intervention au sein d’un embryon sur une malformation qui aurait engendré un problème cardiaque a permis de couper le gène responsable, et donc de supprimer la maladie.
Que signifie exactement CRISPR, et qui a découvert CRISPR-Cas9 ? Cette technique de modification génétique est présentée comme révolutionnaire : comment fonctionne-t-elle ? Elle soulève également d’inévitables enjeux éthiques.
Son nom sonne un peu comme une biscotte suédoise et pourtant, CRISPR-Cas9 est né en Californie en 2012. À l’origine de ces « ciseaux génétiques », la chercheuse française de l’université de Berkeley Emmanuelle Charpentier, et sa collègue américaine Jennifer Doudna. Elles mettent au point une paire de grands ciseaux de couture qui feraient des entailles dans le long ruban entortillé de l’ADN. Une façon de modifier facilement le patrimoine génétique des êtres vivants, aussi bien celui des hommes, que celui des animaux ou des plantes. Toutes deux ont reçu le prix Nobel 2020 de chimie pour ces travaux.

Concrètement, CRISPR-Cas9 associe deux éléments. Un brin d’ARN, une molécule très proche de l’ADN présente dans tous les organismes, qui permet de guider l’enzyme Cas9. C’est elle qui sera chargée de couper l’ADN. Le couple va tâter chaque balise tout le long de l’ADN, jusqu’à trouver l’endroit correspondant au bon endroit pour faire une entaille.
« L’ADN est souvent illustré comme une sorte d’échelle avec des barreaux. Il faut imaginer que les ciseaux génétiques peuvent couper certains de ces barreaux, en faisant une incision juste avant et juste après », nous explique Carine Giovannangeli, chercheuse au CNRS et directrice de l’institut thématique Bases moléculaires et structurales du vivant de l’Inserm.
Une fois découpée, la cellule va engendrer ses mécanismes pour réparer la blessure, un peu comme au niveau de l’épiderme de la peau. La cellule s’arrête alors de fonctionner et essaye de se réparer. « Sauf que la cellule met un peu n’importe quoi pour boucher le trou, ce qui inactive le gène », poursuit Anne Galy, directrice de l’Unité de recherche Integrare à l’Inserm et de l’Accélérateur de recherche technologique en thérapie génomique.
Avec cette technique, il est donc possible de simplement éteindre un gène ou de repérer une séquence génétique en rendant Cas9 inactive afin qu’elle ne coupe pas dans l’ADN. Encore plus intéressant, il est aussi possible de donner un patron à la cellule pour qu’elle répare la cassure d’une certaine façon.
Un espoir contre le cancer
Une avancée majeure qui a enthousiasmé la communauté scientifique. Et pour cause, elle permet de guérir des maladies rares restées pour l’instant sans traitement et offre aussi beaucoup d’espoir dans le domaine de la cancérologie, notamment grâce aux CAR-T cells. Cette technique consiste à extraire des lymphocytes T du patient, à les modifier génétiquement pour qu’ils ciblent la tumeur, puis à les réinjecter au malade.

La semaine du 2 juillet 2018, deux médicaments ont obtenu un avis favorable pour une autorisation de mise sur le marché européenne, le Kymriah et le Yescarta. Tous deux montrent des résultats impressionnants dans le domaine des leucémies (les cancers du sang). Administré chez des patients jeunes, pour lesquels un premier traitement n’avait pas eu d’effet, le Kymriah a permis à 83 % des patients d’entrer en rémission, même avec une seule dose. « C’est une révolution. Avant, on essayait de corriger les gènes défectueux en injectant un gène normal. Mais la partie défectueuse était toujours là et l’ADN introduit dans l’organisme allait s’intégrer n’importe où, ce qui avait même provoqué des cancers. CRISPR permet d’aller introduire ce gène dans un endroit sans danger », rappelle Carine Giovannangeli.
Aujourd’hui, des centaines de laboratoires utilisent cet outil. Il s’est démocratisé au point que, pour quelques centaines de dollars, il est possible de se procurer un kit sur internet et de se livrer à des expériences de bio hacking dans sa cuisine. « Est-ce que cela peut-être dangereux ? Oui. Comme l’outil est simple d’utilisation et à la portée de tous, cela signifie qu’on peut éditer le génome comme on veut et en faire une utilisation inappropriée, comme l’eugénisme. Mais je ne pense pas que la menace passe vraiment par des biohackers qui mènent des expériences dans leur garage », souligne Anne Galy.
Modifier les animaux et les plantes
Si les expériences sur les être humains restent très encadrées, les essais sur les animaux vont beaucoup plus loin. « On sait faire entrer des mutations dans les cellules animales », explique Carine Giovannangeli. N’allez pourtant pas imaginer une seringue qui, après avoir été injectée à une brebis, lui ferait pousser un troisième œil sur le front. « Ces opérations se réalisent au niveau de l’œuf, quand l’animal est en gestation, surtout sur des souris. » Mais dans des pays où la législation est moins stricte qu’en France, certains chercheurs ont déjà donné naissance à des animaux d’un genre nouveau, comme le rapporte un article du MIT.
À l’Institut de biomédecine et de santé à Guangzhou en Chine, des scientifiques ont donné naissance à des chiens dotés d’une masse musculaire deux fois plus importante que la normale. L’expérience a eu lieu sur des beagles, chez qui la myostatine, un gène limitant la croissance des tissus a été supprimée. « Les chiens ont plus de muscles et devraient être capables de courir plus vite, ce qui est utile pour la chasse ou dans un cadre militaire », avaient alors déclaré les chercheurs chinois.