D’après Julian Barbour

Comment cette idée de vitesse à double direction change la vision de l’univers ?
Selon la théorie du Big Bang, il y a 13,8 milliards d’années, un point plus petit qu’un atome a produit une énorme explosion.
De là, toute la matière qui compose notre univers, qui est encore en expansion aujourd’hui, a été créée.
C’est également à ce moment que le temps a commencé à courir, et depuis lors, il a également progressé de manière ininterrompue. Tic, toc, tic, toc…
La grande explosion a projeté des particules dans toutes les directions, qui se sont ensuite regroupées pour former des étoiles, des planètes et des galaxies qui voyagent dans l’univers.
Le temps, cependant, semble voyager dans une seule direction, toujours en avant, comme une flèche qui vole dans les airs.
Mais pourquoi, si l’espace et la matière s’étendent dans toutes les directions, le temps ne fait-il qu’avancer ?
Un théoricien chevronné conteste cette idée. En fait, il remet en question le récit classique du Big Bang et propose une nouvelle conception du temps.
Il s’appelle Julian Barbour, un professeur de physique de l’université d’Oxford à la retraite qui a publié ses recherches dans les revues scientifiques les plus prestigieuses et reconnu par ses collègues comme ayant des idées profondes, originales et audacieuses sur les questions fondamentales de l’univers.
Barbour propose un univers à deux faces, avec un temps se déplaçant dans deux directions et auquel il prédit une fin plus prometteuse que la mort froide que certaines théories prédisent pour notre cosmos.
Un univers à deux visages
Dans la mythologie de la Rome antique, Janus était le dieu des commencements et des fins.
Il était généralement représenté comme un homme avec deux visages orientés dans des directions opposées.

La figure de Janus illustre très bien l’idée que se fait Barbour du début de l’univers.
Sa proposition est qu’à l’époque du Big Bang, on ne commence pas à courir dans une seule direction, mais qu’on puisse aussi commencer à courir dans la direction exactement opposée.
Selon Barbour, si Janus avait été au Big Bang, il aurait pu voir comment le temps se mettait à bouger dans deux directions opposées, qu’il pouvait observer simultanément avec ses deux visages.
Pour comprendre comment il en est arrivé à cette conclusion, nous devons comprendre deux concepts clés : la deuxième loi de la thermodynamique et l’entropie.
Le désordre
Barbour a recours à une nouvelle façon d’envisager la deuxième loi de la thermodynamique.
Cette loi stipule qu’un système évolue toujours vers un état plus chaotique, mais pas l’inverse.
L’exemple classique est un verre.
Il y aura toujours de nombreuses possibilités pour que ce verre se brise et se disperse en mille morceaux, mais nous savons qu’après avoir été brisé, il est impossible que ces fragments se rassemblent pour laisser le verre tel qu’il était.
Ainsi, le verre est un objet ordonné qui devient désordonné lorsqu’il se brise, et c’est un processus irréversible.

La deuxième loi de la thermodynamique dit que l’entropie ne peut qu’augmenter, jamais diminuer.
Nous comprenons donc pourquoi nous disons que le temps ne se déplace que dans une seule direction : parce que le temps ne se déplace que dans la direction où l’entropie augmente.
Plus vous laissez un verre sur une table longtemps, plus vous risquez de le faire trébucher et de le casser.
Mais une fois qu’il est brisé sur le sol, mille ans peuvent passer et le verre ne sera jamais remonté.
La même chose se produit dans l’univers, plus le temps passe, plus son entropie augmente.
Sortir des sentiers battus
Les lois de la thermodynamique sont établies pendant la révolution industrielle, lorsque les ingénieurs essayent de fabriquer des machines à vapeur plus efficaces qui gaspillent moins d’énergie.
La deuxième loi stipule que lorsque l’énergie est transférée et transformée, une partie est dissipée. Concrètement, c’est du gaspillage.
Pour Barbour, c’est là que réside le problème, car cette deuxième loi est élaborée en pensant aux cylindres et aux machines où l’énergie et la chaleur passent d’un endroit à l’autre, confinés dans un espace restreint.

CRÉDIT PHOTO, GETTY
Légende image, La deuxième loi de la thermodynamique est apparue lors du développement des machines à vapeur.
Pour lui, l’erreur consiste à croire que ce qui se passe dans un espace fermé est identique à ce qui se passe à grande échelle dans un univers qui n’a pas de limites.
Selon les termes de Barbour, littéralement « il faut penser en dehors des sentiers battus ».
Une complexité croissante
Prenons l’exemple de Barbour.
Si nous mettons un glaçon dans une boîte, l’entropie augmentera de cette manière : nous aurons d’abord un glaçon très propre, c’est-à-dire avec une faible entropie.
Ensuite, ce bloc va fondre et l’eau se déversera hors de la boîte, ce qui augmentera l’entropie.
L’eau finira par s’évaporer et ses particules se répandront de manière indistincte dans la boîte, l’entropie ayant atteint son niveau maximal.
Dans un espace sans limites, dit Barbour, ces particules d’eau pourraient continuer à voyager et, grâce à la gravité, se joindre à d’autres particules pour former de nouvelles structures plus complexes, qui se développeront dans toutes les directions de l’espace… et du temps.
Ainsi, selon Barbour, ce qui détermine le passage du temps n’est pas l’augmentation de l’entropie, mais l’augmentation de la complexité, sans limites de temps ni d’espace.

Un avenir prometteur
Selon la vision traditionnelle de la physique, l’entropie augmente sans cesse au fil du temps, ce qui signifie qu’un jour notre univers atteindra son état d’entropie maximum : il se sera tellement étendu qu’il sera un désordre total.
Imaginez l’univers comme un bocal rempli de billes ; à un moment donné, ce bocal se brisera et les billes seront dispersées de façon chaotique.
C’est l’avenir que certains experts prédisent pour notre univers.
Au fur et à mesure que l’univers se dilate et que l’entropie augmente, la chaleur et l’énergie se dissipent jusqu’à ce que tout soit froid et inerte.
C’est ce que les experts appellent la « mort thermique » ou « le grand gel ».
Barbour, en revanche, se montre plus optimiste.

Dans sa théorie, la flèche du temps n’avance pas inévitablement vers l’entropie totale ; au contraire, ce qu’il prédit est un univers de plus en plus complexe et structuré qui se développe sans frontières.
En fait, au lieu de la dissipation, Barbour préfère dire que l’énergie se disperse.
Il ne croit pas que le temps nous mène dans une seule direction vers une entropie qui transformera tout en une collection de particules impossibles à distinguer.
Sa vision est celle d’un univers de plus en plus varié et dynamique, où la chaleur et l’énergie ne manqueront pas pour continuer à croître dans toutes les directions du temps et de l’espace.
Profiter de la vie
Pour Barbour, sa conception du temps et de l’univers est porteuse d’un message implicite pour la vie.
« Carpe diem », dit le physicien de 83 ans, « tirer le meilleur parti de chaque jour ».
Quel que soit le sort de l’univers au niveau cosmique, la vérité est que pour l’instant chaque être humain vit avec une certitude indiscutable, prévient-il.

« Je ne veux pas être mélancolique, Alex mais toi et moi allons mourir ».
Ainsi, tout comme sa vision du temps et de l’espace représente une rupture par rapport aux notions traditionnelles de physique, Julian Barbour estime qu’il pourrait y avoir un changement d’attitude envers la vie, en pensant au bien des autres.
Je crois aussi que nous pouvons sauver le monde si les gens s’habituent à l’idée d’être encore meilleurs pour les autres.
Et surtout, quelle que soit la direction que prend l’univers: mon conseil est de ne pas perdre votre temps.