Indélébile à l’Encre Antipathique

20/04/2021

Ma réflexion hebdomadaire devait porter sur un des thèmes régissant la vie sociale. Ma rencontre, le jour même de la commémoration des victimes de l’Holocauste, avec Maurice H, un aschkénaze issu d’une famille ayant subi les pires atrocités nazies, me contraint à changer de sujet.

Nous échangions en toute convivialité, subito la tension grandit et atteignait son paroxysme lorsque j’ai parlé de la Shoah. J’avais inopportunément appuyé là où ça fait très mal. Avec des éclairs de rage plein les yeux, il hurla de douleur: Pourquoi tant de haine, pourquoi ces crimes de pauvres gens pris de terreur, jetés dans des fours, quand ils n’étaient pas gazer. Le monde entendit leurs cris, mais ne s’en soucia guère. Le monde sentit l’odeur de cette chair brûlée, mais préféra détourner son regard. Pourquoi et comment le monde a-t-il pu devenir si abject et si sombre? Une nation cultivée, a commis ces crimes et un monde tout aussi civilisé l’a laissé faire, et Dieu aussi a laissé faire n’essayant en rien de mettre un terme à cette tuerie. Pourquoi Dieu est-il resté silencieux, comme absent, ou pour le moins indifférent. Pourquoi ce massacre de plus de six millions de Juifs?

Il était même sur le point d’émettre l’hypothèse que cela a eu lieu car Dieu n’existe pas, pour finalement ajouter: Dieu est mort à Auschwitz! Aussitôt le silence se fit plus sourd. Je n’étais pas loin de lui rétorquer qu’il y a que l’insensé pour dire: Dieu n’existe pas. Mais convaincu qu’il ait élevé la voix, non pas pour se plaindre, pour s’empêcher d’oublier, mais plutôt pour nous réveiller, nous extirper de notre torpeur car ce qui est arrivé à sa famille peut se reproduire – en fait, cela est en train de se reproduire sous un autre visage– Je lui fais cependant remarquer que la question du pourquoi ne s’applique que dans l’hypothèse d’un Dieu créateur et ne se pose pas dans l’hypothèse d’un univers né du hasard. Mais il n’empêche qu’Auschwitz, dans la radicalité du mal indicible qu’il symbolise, impose le silence, -silence nécessaire et respectueux-, et va jusqu’à mettre en question la possibilité même de toute questionnement. De facto, il était naturellement en droit de se demander, du fait qu’une grande partie de sa famille ait été décimée dans les camps, comment faut-il comprendre que Dieu, S’Il existe, laissât perpétrer de telles atrocités. Comment concilier le concept de Dieu avec le constat de l’inhumanité, de la violence, de l’horreur extrême sans précédent que constitue l’extermination massive de Juifs ? Comment certaines « figures », après la Shoah, comme après la destruction du temple d’ailleurs, pensèrent que l’événement était la marque d’un châtiment de Dieu pour les fautes de son peuple. Soudain cette vision m’est apparue insupportable car comment accepter une telle disproportion entre d’éventuelles fautes et le châtiment, comment attribuer l’existence du mal à l’infidélité ou à la fidélité d’un peuple, à la croyance ou à l’impiété. Croire alors que toute la souffrance vient du péché, et surtout qu’elle cible précisément les hommes en fonction de leur péché, c’est nier que le mal puisse aussi toucher des innocents, c’est nier même la réalité de la souffrance aveugle.

A cet instant je compris que le silence a depuis été pour lui une manière de garder la mémoire vivante, intacte, obsédante mais endormie. Je partageais même cette idée que certains juifs ont cessé de croire en Dieu après la Shoah, alors que d’autres ont fait le chemin inverse, bien que je pense aussi que ceux qui quittent comme ceux qui adhèrent à la religion sur la base d’événements terrestres ne saisissent pas l’essence du judaïsme, et se trompent probablement de religion. Ma réponse était donc d’affirmer que ce sommet de l’horreur humaine, ou plutôt de l’inhumanité, n’était pas de nature divine, mais que c’est entre les mains de l’homme qu’est confié son destin et de Dieu son accomplissement. L’image de Dieu, ébauchée dans les balbutiements de l’univers physique, passe sous la garde problématique de l’homme, pour être accomplie, sauvée, ou corrompue par ce que ce dernier fait de lui-même et du monde.

À le vivre tous les jours, il est vrai que l’homme possède cette capacité de faire le mal, de le savoir et de s’y complaire. Pire encore, il peut être mauvais inutilement, même gratuitement. Tout se passe comme si Dieu avait mis un marché cruel entre les mains de l’homme. «J’introduis la vie dans l’univers mais la souffrance l’accompagne» Et Il récidive avec la pensée «Je te donne la pensée pourrait-il dire mais en plus de la souffrance et de la mort qui sont la loi de la vie tu auras aussi le mal et parce que tu seras libre tu en seras responsable».

Maurice comprit très vite que mon intention ici était en fait celle d’une doctrine, que mon regard est tourné vers l’avenir, par l’idée d’une tâche à accomplir qui réplique à celle d’une origine à découvrir, et qu’il s’agit bel et bien pour moi de défendre la cause de Dieu, notamment en partant du paradoxe, de l’obstacle gigantesque que constitue l’existence du mal, qui plus est sous sa forme la plus abominable. Les hommes nous le savions déjà ne sont pas le but ni le sommet ni la fin dernière de la création mais ils en sont une étape obligée et les architectes associés.

Voyez vous, pour Dieu c’est simple, la vie des hommes est une épreuve et le monde est le théâtre où se joue cette épreuve. On peut tout aussi supposer que le monde est fortuit, qu’il aurait pu ne pas être, ou être différent, ou sans hommes, ou sans vie, ou sans matière, ou encore sans rayonnement.

Comme le dit Maïmonide dans le « Guide des Égarés », Dieu est immuable, parce qu’il ne fait pas parti du monde, n’étant ni éternel ni mortel puisqu’il se situe en dehors du temps et qu’il est nullement responsable de l’avenir de l’homme sur terre. Sans Dieu il n’y aurait pas d’histoire. En revanche ce sont bien les hommes qui en sont les acteurs.

La rencontre avec Maurice m’a perturbé. La justesse de ses propos dérangé et c’est tant mieux! On devrait plus souvent mettre les choses à plat, sinon les pieds dedans. Voila pourquoi je m’engage à confronter quiconque oserait nier les faits et lui faire entendre notre histoire.

Je puis à présent tendre la main à cet homme. Oui Maurice nous avons tous été assassinés à Auschwitz et la douleur m’étreint, je pleure et je crie pour témoigner de notre existence. Pour nous qui n’étions pas là – Shoah c’est bien plus qu’un mot. Nous, les survivants devons ressentir les affres qui furent les leurs, pas dans le seul but de nous attrister ou déclencher notre colère, mais pour éveiller notre vigilance car la violence qui vient, bénéficie une fois de plus de la compréhension de ceux qui précisément ont tété le sein de la radicalité depuis le berceau et ont entretenu une idéologie plus réflexe que réfléchie, aux hormones d’un mal irrationnel.

Oui Maurice nous nous devons de rendre justice à ces pauvres gens. Nommer, raconter, montrer, pour transmettre l’indicible. c’est notre rôle à tous, que l’on soit écrivain, professeur, élu ou simple citoyen. Leur rendre justice, c’est répéter inlassablement que cela a eu lieu, que tout cela est vrai car bientôt la Shoah sera présentée comme un événement-sans-témoin. Peu importe si un sentiment de saturation, qu’on croit actuel, peut un jour poser problème. Même si les mots ne suffisent pas à révéler la portée de l’horreur et de l’absurdité ce désir de l’écrire, encore et encore, m’est vif, obsédant mais crucial.

Ce sont ces années de complaisance politique et médiatique envers la radicalité islamique qui ont fait le lit de la terreur. C’est la pensée gauchisante, le faux antiracisme, la détestation de tout ce qui est occidental, juif, sioniste qui ont cultivé le bacille de la haine dans les éprouvettes européennes et l’ont inoculé chez ces jeunes en quête d’identité.

On devine mieux, à la lumière glauque de l’horreur, sous le masque brutalement arraché de la bonté accueillante, le visage grimaçant de la bêtise méchante. On observe l’apparition d’une seconde société qui tente de s’imposer insidieusement à notre République, tournant le dos à celle-ci, visant explicitement le séparatisme voire la sécession. Étrange société humaine déshumanisée qui semble avoir perdu le sens de l’amour comme de la haine. Étrange société où les gens apprennent à consommer avant d’apprendre à réfléchir.

Plus une société s’éloigne de la vérité, plus elle hait ceux qui la disent.

Fredal

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