
Les larmes de ma maman ressemblaient à des perles fines qui roulaient doucement sur ses joues parcheminées. Les années de dur labeur et de solitude avaient eu raison de sa forte personnalité, de son caractère et surtout de sa détermination. Et c’était devant son regard hagard et fatigué que je me souvenais de ses larmes.
Il y eut des larmes de joie, probablement quand nous naquirent, puis il y eut d’autres larmes plus amères, celles de la déception, celles de la tristesse, la perte de son amour précipité…
Mais celles dont elle parlait le plus, c’étaient ces larmes de tendresse, de celles que l’on voit briller au coin de l’œil, et qu’on écrase furtivement, simplement pour conserver une façade plus équilibrée, moins émotive et vulnérable. Il y eut bien sûr des larmes de colère, lorsque l’enfant que j’étais ne réussissait pas à intercepter, alors usée, ses signes de détresse devant son incapacité à répondre à toutes mes demandes, à me guider dans la fièvre de la compétition.
Ma mère n’était pas pauvre, mais elle n’était pas riche non plus. Elle possédait une autre richesse, plus subtile, plus raffinée qui ne me suffisait pas devant celles que le sort avait mieux nanties.
Il y eut aussi, j’en suis persuadé des larmes causées par mon ingratitude, mon manque d’appréciation, et surtout ma cécité face à ses efforts inhumains…
Et c’est bien leur souvenir qui me déchire le cœur aujourd’hui. Comment n’avais-je pas vu ses luttes qui commençaient aux premières lueurs de l’aube et ne cessaient que lorsque la fatigue avait eu raison d’elle ?
Elle s’était immolée pour nous ouvrir la voie d’une vie meilleure, pour nous offrir ce qu’elle n’avait jamais reçu. Quand je rembobine, je suis envahi de regrets. Regrets tardifs certes. Ce ne fut qu’à ces moments que je réalise ses sacrifices, ses privations. Comment n’avais-je pas vu cette vérité à travers ses renonciations, son amour ineffable et son dévouement de tout son être au bien-être de ses enfants.
Il m’a fallu attendre d’être père de famille pour mieux comprendre, pour me pencher sur ses belles mains que le labeur avait rendues noueuses et osseuses et les baiser humblement. Il m’a fallu attendre de devenir père pour mieux apprécier sa valeur et sa présence bienfaitrice dans ma vie.
A l’autre bout de sa vie je l’entends me murmurer à l’oreille, alors que l’inverse était établi « Tu es le plus beau cadeau de ma vie » Je venais enfin de comprendre combien je comptais pour elle.
C’était Ma Mère mais c’est aussi toutes les mères de ce monde. Peu importe leur couleur, leur race et leur religion. C’est une vérité universelle, une mère est toujours une mère, qui, comme le pélican, ouvrira de son bec son ventre pour nourrir ses petits. Enfants des mères encore vivantes, n’oubliez plus que vos mères sont mortelles. Aimez-la mieux que je n’ai su l’aimer. C’est ce que je vous dis du droit de mon regret.