Israël : les Juifs de diaspora doivent-ils se taire ?

PSYCHOLOGIE INVERSÉE

Depuis quelques semaines, une droite revancharde et sectaire dirige Israël. Et ceux qui aiment ce pays ne peuvent se taire.

Pancartes brandies lors d'une manifestation contre la réforme de la justice à Tel-Aviv,
Manifestation contre la réforme de la justice à Tel-Aviv, le 11 mars 2023. Photo Sipa.

C’est avec tristesse et peine que je veux porter sur l’Israël d’aujourd’hui, mes yeux, mon regard et encore mon amour. Depuis quelques semaines, une droite israélienne revancharde, brutale et sectaire, recroquevillée sur ses plates certitudes et repliée sur elle-même, dirige le pays. Et, de retour aux affaires, malgré les nombreuses et gravissimes accusations de corruption le concernant, le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, en l’espace de quelques semaines, vient de semer le chaos. De ce chaos, il porte l’entière responsabilité.

Le chaos en Israël ?

Le nouveau ministre de la Justice, Yariv Levin, nommé à la fin du mois de décembre 2022, a une obsession. Il veut réduire significativement les prérogatives de la Cour suprême. Selon Suzie Navot, professeure de droit, la Cour exerce un contrôle de constitutionnalité afin de protéger à la fois les droits fondamentaux et les valeurs démocratiques de l’État d’Israël. Yariv Levin, parmi d’autres points, veut modifier le processus de nomination des juges en donnant à la coalition au pouvoir une majorité automatique au sein de la commission chargée de nommer les juges, y compris pour ceux de la Cour suprême. Yariv Levin veut faire adopter une clause dite du « contournement », qui permettrait à des parlementaires de voter une loi ordinaire annulée par la Cour suprême, à une majorité simple de 61 députés sur les 120 que compte la Knesset.

Ces dispositions divisent profondément le pays et de nombreux rassemblements sont organisés depuis douze semaines, où entre 200.000 et 500.000 personnes manifestent, chaque semaine. Pour un petit pays comme Israël, ces manifestations sont gigantesques. Cette contestation inédite s’impose même comme le plus grand mouvement de mobilisation populaire de l’histoire de ce pays, depuis sa création en mai 1948. Par ailleurs, cette réforme suscite aussi l’inquiétude des milieux économiques et financiers qui mettent en garde contre son potentiel impact négatif sur l’économie de la « start-up nation ».Dans un contexte qui n’est guère reluisant, car l’inflation est galopante dans le pays, au point que, par exemple, en 2022, le classement annuel des villes les plus chères du monde du journal américain The Economist a placé Tel-Aviv en tête du classement, devant Paris et Singapour

La situation est si grave que le président de l’État d’Israël, qui a présenté un plan de compromis sur la réforme judiciaire en Israël (aussitôt rejeté par la coalition au pouvoir), a déclaré dans un discours télévisé, le 15 mars : « quiconque pense qu’une vraie guerre civile, qui fasse couler le sang, est hors de portée, n’en a aucune idée. L’abîme est à nos pieds. Une guerre civile est la ligne rouge. Je ne laisserai pas cela se produire

À ces difficultés, s’ajoute un brouhaha diplomatique. Cherchant désespérément un réconfort auprès de la présidente (d’extrême-droite) du Conseil des ministres d’Italie Giorgia Meloni, Benjamin Netanyahu doit affronter la défiance de ses interlocuteurs étrangers et les rappels aux fondamentaux. Les dirigeants américains et européens répètent au Premier ministre qu’Israël doit rester une démocratie libérale, alors que Benjamin Netanyahu tente désespérément de les rassurer. Il doit aussi affronter celles et ceux (présidents, ministres, diplomates, démocrates et Juifs de la diaspora) qui sont horrifiés par la présence de ministres d’extrême-droite dans son gouvernement.

Le premier d’entre eux s’appelle Bezalel Smotrich et il est ministre des finances. Ce que l’on retient de lui, c’est la violence de ses positions à l’encontre des Palestiniens, violence qui est pourtant connue depuis longtemps puisqu’il précise, depuis des années, les options qu’il réserverait aux Palestiniens : vivre sous souveraineté israélienne, mais en étant citoyens de seconde zone, sans droits politiques, ou quitter définitivement le pays.

Plus récemment, après l’horrible fusillade qui a été commise par un terroriste palestinien à l’encontre de deux jeunes frères israéliens, respectivement âgés de 22 et 20 ans, Hallel et t’agaças Yaniv des représailles ultra-violentes menées par des Israéliens habitant les implantations voisines ont eu lieu le 26 février 2023, dans le village arabe de Hawara. Ces représailles s’apparentent à un pogrom. Non seulement Bezalel Smotrich n’a pas condamné les destructions commises à Hawara, mais il a prononcé cette phrase terrible, « je pense que le village de Hawara, il faut l’effacer. Je pense que l’État d’Israël doit le faire, pas des individus privés. »

Comme l’écrit Yonathan Arfi, le nouveau président du Crif, dans son éditorial du 15 mars 2023 (dans la newsletter de l’institution) : « Mais comme toutes les démocraties, elle peut faillir. Elle s’affaiblit lorsque l’État de droit est débordé par une minorité lors des inacceptables violences à Hawara en vengeance de l’attentat commis quelques heures plus tôt. Quels que soient le deuil et la colère, ces émeutes ont été une atteinte insupportable à la fois aux principes démocratiques et aux valeurs juives. Elle s’affaiblit aussi lorsque surgissent des discours populistes, stigmatisants et haineux dans le débat public israélien et ce jusque dans les propos de certains ministres en poste. Ils ne sont acceptables dans aucune démocratie. Ce n’est pas un jugement politique que de le dire. C’est une position morale que nous tenons en France, en Israël comme partout ailleurs ».

En diaspora, les Juifs doivent-ils se taire ?

Alors ? Je me suis toujours battu contre l’israélophobie et l’antisémitisme. Je n’ai pas cessé d’affirmer mon attachement à l’existence de l’État d’Israël, dans la sécurité et la paix. Mais, en raison du contexte que je viens de décrire, je suis persuadé que les Juifs de diaspora peuvent/doivent réagir. Je prendrai pour référence le beau texte de Bernard-Henri Lévy, dans La Règle du Jeu. BHL écrit : « c’est dire mon inquiétude, et ma colère, au vu de la crise politique et morale qui secoue, désormais, le pays ».

Mais voilà, en France, certains de mes coreligionnaires, notamment des intellectuels et des responsables communautaires, qui en privé ne manquent cependant pas d’exprimer leurs craintes devant ces réformes et le climat de profonde division et de colère dans le pays, se taisent. Sûrement de peur que leurs propos ne soient instrumentalisés par toutes celles et tous ceux qui tapent férocement quotidiennement sur Israël, notamment à l’extrême gauche ou à gauche, dans un contexte où l’antisémitisme s’accroit dangereusement.

Se taire en raison de l’antisémitisme ?

L’argument selon lequel, il faudrait en s’exprimant craindre l’antisémitisme, je puis l’entendre. L’antisémitisme, je l’ai vécu et je l’ai combattu tous les jours de ma vie, en l’observant, en l’examinant, en l’analysant, en publiant plusieurs ouvrages, en m’exprimant quasi quotidiennement. Je connais ce cancer aux multiples métastases qui s’adapte et draine tous les préjugés ancestraux. La haine antisémite n’est pas une vue de l’esprit. En ce siècle, elle frappe indistinctement des personnes âgées et des enfants, qui ont été assassinés en France et dans d’autres pays, parce que Juifs. Cette haine puise également et très largement dans le conflit israélo-palestinien et ses multiples soubresauts dont elle se nourrit. Elle violente au nom des passions folles qui s’exercent autour de ce conflit, au nom de l’israélophobie et/ou de l’islamisme fanatisé. Cette haine puise également dans l’ancienneté de préjugés millénaires, elle s’adapte et elle est particulièrement attractive. Cependant, si nous devions exprimer nos craintes par amour pour Israël, je veux rassurer mes lecteurs. Les antisémites n’ont pas besoin de nous, n’ont pas besoin que nous nous exprimions pour développer toute une myriade de préjugés et tenir autant de déclarations poussives et haineuses. Ils le font régulièrement, sans nous. Cela ne changera rien, croyez-moi. Et, comme à l’ordinaire, nous devrons continuer de les combattre, avec détermination.

Se taire, parce que l’on ne vit pas en Israël ?

Un autre argument pour nous empêcher de nous exprimer consiste à rappeler que nous ne vivons pas en Israël et que, de ce fait, nous ne pourrions pas comprendre ce qui s’y passe.

Pour autant, celles et ceux qui parmi certains de mes coreligionnaires (souvent de droite et à l’extrême-droite) jouent de cette corde, ne se sont pas privés par le passé de dire tout le mal qu’ils pensaient lorsqu’en Israël la gauche ou le centre étaient au pouvoir. Je n’oublie pas les déclarations incendiaires des uns ou des autres, lorsque le regretté Yitzhak Rabin était Premier ministre. Ils n’avaient là aucune retenue. 

De plus, aujourd’hui (et plus que jamais, avec les moyens de communication que nous connaissons, l’interactivité dans les réseaux sociaux et le militantisme qui s’exerce partout), on peut émettre une opinion sur toutes les questions qui se déroulent sous nos yeux. On peut, par exemple, s’inquiéter que les ours polaires disparaissent, sans pour autant vivre dans la banquise. On peut avoir peur du nucléaire, sans vivre à côté d’une centrale. On peut exprimer son soutien aux Ukrainiens, aux Arméniens, aux Kurdes, sans vivre pour autant en Ukraine, en Arménie ou au Kurdistan. Bref, on peut avoir un avis sur toutes les choses qui se déroulent sous nos yeux de l’Himalaya à l’Argentine, mais lorsque l’on est Juif en diaspora, les militants de l’extrême-droite pro israélienne (surtout) et quelques magazines médiocres nous intimident. Ce chantage au silence est intolérable.

Alors faudrait-il, en tout temps et à tout moment, être des inconditionnels des politiques menées par les uns ou les autres en Israël ? Mais, au nom de quoi ? Surtout lorsque, paradoxalement, Israël dit s’inquiéter pour les Juifs du monde entier, alors qu’Israël se présente comme un État juif et qu’Israël ne se prive pas de dire qu’il parle en notre nom. Et surtout, lorsque la situation est si grave en Israël, lorsque des ministres israéliens d’extrême-droite sèment la peur, suscitent la confusion et le chaos, pourquoi devrions-nous nous taire ?

Ce d’autant plus que, même si nous vivons en Diaspora, nous constatons aujourd’hui que la moitié de la population israélienne est extrêmement inquiète, que des manifestations ont lieu quasi quotidiennement et que le président de l’État parle de l’éventualité d’une guerre civile. Enfin, ceux qui vivent en diaspora ne sont pas coupés de ce pays. Ils s’informent quotidiennement, ils voyagent fréquemment en Israël, investissent dans le pays, ont de la famille en Israël. Ils sont habités par ce pays et en connaissent les arcanes et la complexité.

Se taire en oubliant les principes fondamentaux ?

Enfin, nous devrions rester fidèles à quelques principes. D’abord, celui des pères fondateurs de l’État d’Israël qui ont voulu que ce pays se construise comme une démocratie libérale. Les fondements démocratiques de l’État d’Israël apparaissent dans la déclaration d’indépendance, ils affirment la liberté d’expression, la liberté de culte, l’égalité de droits entre tous les citoyens israéliens, n’en déplaise à Smotrich et à Ben-Gvir. Et, c’est cet Israël démocratique et résilient que nous aimons.

En écrivant cet article, j’ai conscience de la difficulté de l’exercice. En l’espace d’une semaine, parce que j’ai pris position contre la venue à Paris de l’actuel ministre israélien des finances, j’ai été copieusement insulté par les réseaux et certains brûlots juifs francophones fanatisés. Mais je prétends qu’en Israël cette politique mène au chaos. En même temps, je pense qu’un autre Israël est possible. Je me réserve donc le droit et le devoir de le dire.

Cet autre Israël, aujourd’hui, manifeste dans les rues, il est en lutte pour sauver la démocratie israélienne. Cet Israël défend des valeurs communes et est fermement attaché à l’éthique juive (respecter son prochain). À ces israéliens qui se battent, résolument et démocratiquement, pour tenter d’éviter que le pire ne se produise, je veux dire ici mon amitié et ma fraternité. Vos luttes ne seront pas vaines. Ne cédez en rien, ni aux sirènes du populisme, ni aux fauteurs de guerre. À mes coreligionnaires qui partageraient mon inquiétude, ne craignez ni le chantage à l’émotion, ni la censure, ni les cris féroces de quelques groupuscules fanatisés. Israël est à un carrefour de son avenir. Soit il devient une théocratie ou une dictature, comme le disent nombreux israéliens, soit il reste une démocratie libérale et il reste attaché à nos fondamentaux. Il lui faudra enfin accomplir une autre révolution, un jour. Faire la paix sans concession (enfin) avec les Palestiniens.

Et c’est parce que j’aime ce pays, que je fais ce choix de défendre en diaspora, ne vous en déplaise, un Israël du juste, un Israël du sage, un Israël de l’éthique, plutôt qu’un Israël féroce qui se perdrait et qui, ce faisant, serait condamné, un jour ou l’autre, à disparaître.

FREDAL

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