Chabath inespéré pour la Terre ou Effet Domino ?

Venise 28 Mars 2020

Paradis sur Terre | Photo-Paysage.com, le blog
À Venise la mer est redevenue bleue et un dauphin a été aperçu dans le grand canal. La Terre se refait ainsi une beauté et les autres créatures respirent. Entrecoupé seulement par le chant des oiseaux, le silence a en outre provisoirement repris possession de tous les lieux d’où l’avait chassé le vacarme impitoyable.

« L’homme est partout, partout ses cris et sa douleur et ses menaces. Entre tant de créatures assemblées il n’y a plus de place pour les grillons » écrivait Albert Camus. Qui ose y croire ? Faudra-t-il alors que nous changions ?

Depuis plusieurs semaines, jour après jour, nous suivons la propagation du Coronavirus de par le monde, les mesures de mise en quarantaine de villes ou régions, les fermetures de frontières… Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’aurait pas encore atteint l’Afrique. La survenance d’une telle perspective peut légitimement inquiéter compte tenu de l’état des systèmes médicaux et hospitaliers dans les pays africains, et de l’arrivée régulière de migrants en provenance de ces pays. Le sujet de la situation en Afrique est d’autant plus important que l’épicentre de la pandémie se situe maintenant en Europe, et plus particulièrement dans les pays du Sud, Italie, Espagne et France. À Venise, nous attendons… calmement.

Au-delà de ces considérations sanitaires, nous découvrons aux informations jour après jour, les conséquences économiques. De la même façon que cette crise sanitaire est inédite, il en est de même de la crise économique. Nous n’avons aucune autre crise sur laquelle s’appuyer pour réagir ; ni celle de 1929, ni celle de 2008-2009 qui étaient des crises financières qui se sont plus ou moins propagées à l’économie réelle. Aujourd’hui, la crise économique résulte de la combinaison de crises de l’offre et de la demande, et d’un quasi arrêt de l’économie. La baisse de la production chinoise et la désorganisation des flux logistiques n’arrangent pas cette situation. Parallèlement, la non-fréquentation accompagne automatiquement la fermeture des lieux publics, des commerces non indispensables et la rareté des consommateurs potentiels. Quelles que soient la nature et l’intensité des aides apportées aux opérateurs économiques, rien n’évitera le dépôt de bilan s’il n’y a pas de chiffre d’affaires !

Voici que tout se fige, que la planète entière se met en pause. On circule moins, voire plus du tout. Cela crée des problèmes à des pans entiers de l’économie mondiale : les compagnies aériennes, sociétés ferroviaires, de transport publics, les raffineries, les sociétés d’autoroutes, les sociétés de parking, les garages et ateliers de réparation automobile, les sociétés de taxi…, et par effet collatéral les constructeurs aériens et automobiles … Á plus ou moins brève échéance, nous allons assister à des dépôts de bilan de par le monde. Á un moment ou un autre l’État devra renflouer les entreprises publiques ; de leur côté, les collectivités locales devront faire de même pour leurs compagnies. Quant aux sociétés privées, l’État devra arbitrer entre les aider jusqu’à une éventuelle nationalisation, ou les laisser déposer le bilan avec tous les effets collatéraux que l’on peut imaginer.

Bourses : La panique monte | Page 5 | L'Economiste

De nombreux secteurs sont sinistrés : le secteur touristique, l’hôtellerie, les restaurants, les théâtres, les cinémas, le monde du spectacle, les parcs d’attraction… Et les agriculteurs sont également en souffrance.

Pour comprendre la généralisation de la crise à toute l’économie, il suffit de prendre l’exemple des commerces fermés. Si le commerçant ne paie pas son loyer, le bailleur pourrait-il ne pas rembourser le prêt qui lui a permis d’acquérir le bien loué ? Qu’en sera-t-il des primes d’assurances ? Qu’en sera-t-il des échéances bancaires ? Progressivement, d’opérateur économique en agent économique, les impayés vont se propager, et le circuit économique risque d’être complétement bloqué, tant qu’une reprise de l’activité n’apparait pas. De nombreuses petites et moyennes entreprises vont faire faillite, de nombreux épargnants ou possédants vont s’appauvrir…

Le 4 février dernier, j’écrivais : « …une épidémie grave pourrait amputer jusqu’à 5 % du PIB mondial. » Nous serions d’ores et déjà à plus de 2 % du PIB mondial, l’Europe se prépare, d’ores et déjà, à la récession … j’espérais me tromper.

La conjonction simultanée des crises de l’offre et de la demande ainsi que l’absence de chiffres d’affaires compliquent terriblement la tâche des autorités gouvernementales et monétaires pour déterminer la bonne réaction.

Que faire de plus que les autorités gouvernementales en plus de couvrir le coût du chômage partiel, accorder des délais de paiement des charges fiscales et sociales, garantir les concours financiers aux entreprises pour éviter la frilosité bancaire, accorder un éventuel revenu minimum universel ? Que faire de plus que baisser les taux et fournir des liquidités à tous les opérateurs économiques par les banques centrales ? Quels que soient les efforts des autorités, personne n’a la solution pour ralentir la crise et contrarier la future récession.

La complexité de cette situation aurait pu justifié une mobilisation internationale coordonnée. À l’inverse nous assistons à un repli sur soi, à la fermeture des frontières en ordre dispersé. Cela rappelle l’entre-deux-guerres lorsque les États s’étaient engagés dans des dévaluations compétitives et l’accroissement des droits de douane. Or, le Monde a de plus en plus besoin d’une gouvernance mondiale, ne serait-ce que pour contrecarrer la dégringolade du prix des hydrocarbures. En même temps, une coordination internationale s’imposerait comme dans les années quatre-vingts, pour accompagner la forte demande du dollars et l’appréciation prévisible du billet vert.

Certains pays sont en cessation de paiements. Le Liban l’est déjà mais pour d’autres raisons que le Covid 19. Et l’Iran l’est quasiment aujourd’hui. Si cette crise sanitaire ne s’améliore pas? qu’en sera-t-il demain de l’Italie bien que la BCE ait fini par déclarer que le pays ne sera pas abandonné ? Et pour cause, le contraire serait la faillite de l’Italie et l’explosion de la zone euro !!

Pour éviter toute prise de contrôle de notre économie par des fonds souverains, et la faillite de nombreuses entreprises, l’État devra les nationaliser, quels que soient les efforts financiers à faire, il va être en mesure d’acquérir de nombreuses entreprises à bon compte, eu égard la valorisation boursière et la situation économique. Certains États deviendraient propriétaires des banques, des compagnies d’assurances, des compagnies aériennes, des grandes entreprises. En perspective ce serait la fin du capitalisme et non de l’économie de liberté. Une paupérisation des épargnants, des classes moyennes.

Eu égard les coûts des nationalisations, les dépenses supplémentaires pour amortir le choc (prise en charge du chômage partiel, mis en place de mécanismes de garantie des prêts bancaires, éventuel mise en place d’un revenu minimum universel …), la diminution des recettes (reports des échéances des fiscales et sociales…), les États vont être confronter à une envolée de leur endettement. Pour limiter l’augmentation de leurs déficits, ils devront probablement diminuer, eux et leurs collectivités locales, leurs dépenses d’investissement, ce qui ralentira la reprise de l’activité.

Tout cela ne sera possible que si la Banque centrale fournit les liquidités nécessaires. Les banques centrales américaine, britannique, européenne et japonaise sont en mesure d’assumer ce rôle. La BCE vient d’annoncer le nécessaire à faire, après des premières mesures mal reçues par les marchés. Qu’en sera-t-il des autres pays et banques centrales ?

Espérons que nous ne soyons pas confrontés au « paradoxe du pompier » ! Les dégâts d’un incendie sont plus causés par l’eau du pompier que par le feu lui-même. Nous pourrions très vite être confrontés à une telle masse de liquidités que les marchés de capitaux risquent de voir leur rôle réduit et que le système économique devienne difficilement contrôlable.

Je me dis qu’heureusement le pire n’est jamais absolu, et que les opérateurs trouvent toujours les solutions pour faire face aux situations même inédites. Et quand bien même, l’homme avec le confinement prendra peut-être conscience qu’il n’est pas seul. Et une fois la machine remise en marche gardera dans les oreilles la beauté du silence ? Peut être aussi retrouvera t-il le goût de partager la Terre, le respect des distances et le sens de l’indisponible, car seuls ceux qui vivent humblement ne seront pas condamnés à revivre ce terrible fléau.

C’est triste et apaisant à la fois. Mais la prise de conscience de la réalité climatique ne s’est-elle pas souvent construite grâce à la multiplication des événements extrêmes ?

FREDAL