Irremplaçable devient les choses de la vie…

Il ne m’a jamais paru aussi grand que lorsqu’il m’a confié ses angoisses qui l’empêchaient de dormir, d’être seul la nuit à l’hôpital les derniers temps, quand le surdosage l’a rendu confus, faisant face à la vérité. Face à lui-même pour dégager les éléments les plus profonds de sa subjectivité qui risqueraient d’altérer sa conscience, son discernement. Il a toujours été dans ce combat perpétuel qu’il menait avec fermeté et exigence sur l’essentiel. Lorsque j’ai annoncé son décès à ceux que je savais proches de lui, ou ayant eu l’occasion de le rencontrer, de le fréquenter, de travailler avec lui notamment dans le cadre de nos activités, j’ignorais que j’allais initier ce large mouvement de témoignages et de tristesse en réaction à sa perte, de souvenirs émouvants, d’hommages à cet homme qui suscitait l’admiration et l’attachement.

C’était un modèle, lui qui prétendait ne pas l’être.

Il maintenait en éveil une lucidité, un souci de vérité, d’analyse, de compréhension des processus tant singuliers qu’institutionnels, endogènes ou exogènes, des enjeux tant intimes qu’externes, spirituels ou moraux.
Le vivre ensemble, le sens de la responsabilité des uns par rapport aux autres était un thème qui lui était extrêmement cher. Il insistait sur la nécessaire réciprocité qu’implique cette relation. Il regrettait que trop souvent elle ne soit vécue qu’à sens unique.
Il me manque terriblement. Sa mémoire m’oblige.
LEILOU NICHMAT CHARLY PINHAS BEN BENTKIA
Que son âme soit bénie
03 Sivan 5773
החותם שלו נשאר בל יימחה

Les Choses de la Vie

Dans la société juive traditionnelle, de l’individu à la famille élargie, du clan et à la société tout entière, la vie s’articule autour de règles conformes à la Torah et aux prescriptions édictées par des Sages. Dans le dispositif législatif qui en résulte, le remariage suite à un décès trouve naturellement sa place et sa fonction.

L’exposé de la semaine dernière, Béh’oukotaï a évoqué le “התלונה הקטנה” la petite remontrance. Petite peut-être, mais dont la signification nous glace.Ce commandement sous son cortège de réprimandes détermine une ligne de conduite pré requise par une Loi céleste et de comportements à éviter — tout particulièrement ceux qui enfièvrent —. Par ce fait chaque événement de notre vie se réverbère instantanément selon une autre dimension, constituant le socle de la pérennité de notre identité d’où la raison de ne jamais traiter l’avertissement avec indifférence ou imaginer que nos actes s’inscrivant dans notre aire existentielle ne tirent pas plus à conséquences et n’engagent pas pour autant notre responsabilité. Je ne prétends pas mais tout peut s’y trouver en germe dans cette injonction, notamment quand les uns s’approprient sans vergogne une virginité et se raccrochent à la première branche venue, amplifiant chez les autres une sensation de déchirement, d’arrachement qui brûle le corps et dévore l’esprit. Prétextant de ne pas savoir, ils s’autorisent toutes les audaces et flânent à leurs rêveries avec une espèce de crédulité naturelle qui peut affliger du moins désobliger.

Le livre de cette semaine Bamidbar est considéré comme une suite logique dans un classique du genre par ses épisodes-types qui l’accompagnent et ses mises à l’épreuve quasiment modélisées. Ce dogme apparaît comme un principe de responsabilité indissociable de la conscience humaine. Ce constat s’accompagne fatalement d’une question embarrassante: le judaïsme est-il réduit, par sa seule nature pulsionnelle, le “yetser hara”, à la condition humaine ? tant cette alternative semble de toute évidence tellement inflexible, manichéenne.

Les esprits censés ne manqueront pas à juste titre de souligner cette impudence perfidement dissimulée, notamment lorsqu’elle se glisse dans le cénacle familial, tandis que les esprits funestes diront qu’heureusement cette condition relookée par la pensée contemporaine n’est plus perçue comme un comportement sacrilège. Ils feront également remarquer que cette certitude de l’absurde n’a plus lieu d’être et que cette transgression rappelle étrangement l’une de nos plus vieille loi usée jusqu’à la corde: « N’approchez pas trop près de la lumière, vous risquerez d’être aveuglés ». Il faut parfois se méfier des maîtres mots prononcés par nos maîtres, en revanche les mots qui ne fâchent personne, vide de sens, faussent souvent la réalité quand on veut l’amener à des conclusions chimériques.

Aujourd’hui je n’érige plus le doute en valeur suprême et cette phobie du totem et le moralisme opaque insidieusement entretenu ne peuvent en rien me satisfaire à tel point qu’il m’arrive personnellement de penser que le « mauvais œil  » ou le « bon œil  » est l’écho à notre état d’esprit du moment, à notre pensée ? Il ne fait que capter ce que l’on sait au fond de nous, enfui dans notre inconscient. Le futur n’est pas un destin tracé, figé d’avance. C’est ce que nous-mêmes percevons.

Comme je n’avais pas de réponse claire à cette question obsédante et dérangeante qui agitait mon esprit, rongé de plus par la peine, je l’ai clairement rejetée, j’ai détourné mon regard de cette histoireconvaincu au fond que les scénarios vont et viennent à leur guise, que le monde est ainsi tricoté et que rien n’arrêtera la recette céleste. Généralement dans ce genre de situation, par reflexe on regarde d’abord, ensuite on ne veut pas voir ou on excuse, finalement on s’habitue. En tentant de m’instruire, j’ai découvert mon ignorance, notamment sur l’oppression patriarcale de certains qui utilisent la religion à mauvais escient, singulièrement à l’encontre des femmes, afin de leur imposer des dogmes inexistants dans la Torah dont seul Hashem a prescrit les ordonnances. Ce genre de pratiques a ses revers et conduit à des situations où l’on paye cher le fait de s’inscrire à contre courant.

Toute Mort Transforme une Vie en Destin…

il m’a semblé immoral de ne pas avoir reconnu plus tôt ce mauvais jugement; que les modes de vie changent selon les contextes. Je n’ai pourtant pas pour vocation à regarder passer les trains. Au risque de prendre certains barbus à rebrousse-poil, je me soumets à une obligation où la raison rejoint le droit et l’intérêt. j’inverse donc ma perspective en dénonçant cette indignation, cette fausse peur du tabou et à la lueur de ces vérités, j’écris une nouvelle page en rapport avec une contrariété non justifiée. Pour me débarrasser de tant de doutes, j’ai décidé d’opposer une impassibilité stoïque aux attaques car je considère qu’il n’y a pas pire que l’aveuglement et la stupidité consciencieuse et dans ce genre de situation plus les maux vont chaotiques plus ils se fabriquent. Quoiqu’il en soit il faudra bien s’entendre un jour sur ce grief pour que nous le gommions car dix ans plus tard cette ambiguïté devient à l’évidence excessive, indécente même.

Quel sens y a-t-il à persévérer dans ce procès, alors qu’il est clairement établi que le contrat social entre conjoints « Ketoubba » définissant les règles à respecter, dans la formation comme dans la rupture du lien conjugal, est abrogé lors du décès de l’un d’entre eux. Comme les textes sacrés ne sont pas des auberges espagnoles et que rien n’arrive par hasard, en nous invitant à ne pas se morfondre ad vitam aeternam, nos sages, au travers des prescriptions, ont positionné le curseur de telle façon que nous ne versions pas dans une forme de fatalisme.

Je suis conscient de demander beaucoup, précisément à ceux qui se nourrissent de préjugés, bien que dans les meilleurs esprits il peut y avoir des critiques malvenues. J’encourage aussi les esprits chagrins à prendre conscience et de faire preuve de cohérence comportementale, car il serait convenable d’apaiser les émotions, de démêler enfin ces nœuds et de désamorcer les objections morales. Pour les esprits les plus rétifs les choses ne changeront pas de façon significative. Mais n’est-ce pas des incertitudes que naissent souventles initiatives?

Il n’est pas question pour autant de jouer les « janus » aux deux visages mais de changer plutôt de logiciel, d’y remédier en se tournant résolument vers le mariage pour éviter de tomber dans la débauche ou de sombrer dans une sorte de renoncement ficellé par des culpabilisations à répétitions. De surcroît les écartsentraînés par un célibat prolongé seraient mal perçus. Ce n’est pas aussi un hasard si Baba Salé en se remariant à un âge avancé a levé toute ambiguïté en inscrivant un nouveau chapitre de sa vie, sans boucher les trous et sans essayer de retrouver en sa nouvelle épouse la moindre correspondance, la même image”.

Je souhaite que cette introspection sera utile aux uns sans être nuisible à d’autres. Prescription pour prescription choisissons ensemble la plus noble.

FREDAL

Vous avez sûrement remarqué que j’éprouve une certaine réserve à écrire sur le sujet. Les mots qui me glissaient sous les doigts se font plus réticents. Aujourd’hui, j’obéis à un serment qui rythme ma vie depuis dix ans. Je reprends la plume une dernière fois afin de sauvegarder notre immuable unité et incruster le futur consubstantiel à cette leçon de vie, avec la même énergie, dans cette veine profonde que Charly a gravée. Toutefois j’espère avoir su préserver le secret précieux de la vie des uns sans nuire à la liberté de penser et l’épanouissement des autres même si parfois, sinon souvent, vous êtes intransigeants envers vous-mêmes et surtout envers ceux qui adoptent pour une raison qu’ils estiment valable ou incontestable, un courant contraire…

J’ai cependant ressenti la chaleur de votre proximitécette indicible fraternité. Puissions-nous continuer à nous aimer encore de la sorte. 

Bien à Vous Tous

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