Il a remarqué mon cou fripé et ma démarche mal assurée.

Un 6 Janvier 2024 en face à face…

Le mois dernier, nous avons eu l’immense plaisir de fêter Hanouka avec une partie de notre famille israélienne. Alors que nous bavardions mon petit-fils m’a soufflé à l’oreille — sa voix n’était plus qu’un murmure que j’ai eu peine à l’entendre — “Si on t’annonce que tu vas mourir dans une heure, qu’est-ce que tu fais ?” Je l’ai regardé tendrement et je lui ai répondu “Je continuerai à discuter avec toi et je savourerai ce moment privilégié durant les minutes qu’il me reste à vivre ”. Puis sans façon et sans faire un déni de mon état actuel je lui expliquais que Papy n’a pas toujours eu des cheveux gris et des sourcils en broussaille. Il fut un temps où il a couru et joué, il a eu des joies et des peines, des frustrations et des satisfactions comme tout le monde et que chaque étape de notre existence a son importance. Que notre identité, pour se construire, ne pourrait exister sans cette expérience.

Il éprouva soudain une espèce d’angoisse involontaire, un léger frisson qui faisait frémir sa peau comme si ça déclenchait en lui une intolérable souffrance, un filtre de censure, un blocage émotionnel. Il a tourné alors deux ou trois fois sa tête vers moi et laissa paraître, sans pouvoir le contenir, après tant d’horreurs accumulées, le trouble qui le saisissait. Puis les yeux emplis de larmes, il s’en est allé en courant. Ceci révèle le traumatisme que subissent ces enfants confrontés à la guerre avec ses ambiguïtés, ses craintes, ses contradictions entre un quotidien qui les submerge et toujours ce désir de vivre une normalité qui se dérobe constamment dans ce pays, où la réalité, chargée de culpabilité et d’angoisse, est toujours moins belle que le rêve espéré. Rappelons qu’à 18 ans, « l’armée vous prend votre enfant ».

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Embarrassé par sa réaction, je n’ai pas eu le temps d’ajouter, “j’aime être vieux, parce que la vieillesse m’a rendu sage” et je suis fier d’avoir gardé le sourire de ma jeunesse malgré les sillons qui creusent profondément mon visage buriné et satisfait d’avoir vécu assez longtemps pour que mes cheveux deviennent gris. Sincèrement, même si mon miroir critique m’offre cette image je n’ai pas le sentiment qu’il existe une rupture radicale entre ce que je suis et ce que j’ai été. je m’en suis aperçu la première fois le jour où le contrôleur de bus ne m’a pas demandé ma carte de réduction senior. Un simple coup d’œil lui a suffi. – Jusque là je voyais les autres vieillir, sans me voir vieillir -. Mais force est de constater que la vieillesse repose sur une donnée biologique stricto sensu et que nous sommes confrontés à des pertes objectives dans tous les domaines : l’activité professionnelle diminue ou s’arrête, le potentiel de santé et physique et psychique nous lâche, notre vie avec ses blancs et ses flous s’effrite inexorablement. Fatalement les douleurs et l’inconfort vont de pair avec l’âge et le temps qui s’échappe peu à peu nous projette peut-être aussi vers un état de décrépitude. Voilà bien des raisons de déprimer !

En dépit de cela, je me reconnais le mérite de ne pas être amer et au fond de moi, demeure une lueur qui me fait aimer la vie. Je ne pense pas à la mort tous les jours, mais souvent je l’ai sentie rôder quand elle s’est approchée de trop près.

Dans la rubrique du “qui je suis” je vous livrerai quelques traits de caractère qui me correspondent. Français, je le suis au plus profond, avec le judaïsme comme complément identitaire. Les deux caractéristiques étant pour moi inséparables. Pourtant les juifs à mon époque ne se sentaient juifs que pour autant qu’il y avait des antisémites. Peut-être avions-nous tort de dénigrer systématiquement le passé, la tradition, la transmission ? Mais je n’en étais pas encore là. C’est bien plus tard que la conscience m’est venue, mais elle ne fut pas intuitive. D’ailleurs, beaucoup d’entre nous, ferons ce chemin d’une réappropriation spirituelle, qui donnera un sens positif. Rien de proprement religieux, et pourtant l’essentiel: une certaine fidélité, une certaine morale, une certaine attitude. Une appartenance comme si elle nous traversait, comme si elle en savait infiniment plus que nous-mêmes sur ce que nous sommes, ce que nous voulons, ce qu’au fond nous croyons. Nos capacités n’engendrent pas ce que nous deviendrons ce sont nos choix

Je suis fondamentalement pusillanime, avec des sursauts d’audace maîtrisés. Gourmand à l’extrême, tout le monde le sait. Paresseux ? je le suis mais j’ai su cependant donner le change pour qu’on me perçoive comme volontaire et actif. L’envie, qui n’est qu’un baume sécrété pour guérir nos plaies intérieures et finit par nous empoisonner, ne fait pas partie de ma panoplie au contraire de la franchise qui m’a joué bien souvent des tours. Il est vrai que je la cultive parfois de façon simpliste. Sous des dehors apparemment distants, je suis curieux des gens que j’approche. J’ai pour l’amitié un culte fanatique, et je suis prêt à défendre mes amis jusqu’à la mauvaise foi. Indiscutablement, j’endosse, “l’étiquette” d’empathique et faisant facilement confiance, dont on m’a parfois affublé et que j’ai du mal à me défaire, mais qui sait si elle ne me convient pas un peu quand même ? Avoir des ennemis ne m’atteint pas tant je peux être capable d’ostracisme et de violence verbale. Ma vie s’est construite au gré de hasards et d’enchaînements non prémédités et j’admets que m’étant battu pour une place au soleil, j’ai paru ambitieux mais pas aussi obstiné qu’on le croit. Il m’aura d’ailleurs fallu du temps pour comprendre que c’était la clef de mon futur. Cela m’aura valu plus que ma part d’affrontements et de déceptions mais j’ai vu s’ouvrir devant moi des portes qui, sans cela, seraient demeurées fermées à jamais. Nous sommes tous concernés un jour par ce que les autres pensent de nous; plus encore par l’apparence que l’on se donne. Celle que j’ai laissée paraître doit correspondre à une grande part de vérité. Si un portrait n’est pas toujours exact, il est rarement entièrement faux…

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Je refuse l’hypocrisie de la transparence, claironnée à longueur de discours, conçue comme un remède/miracle, à tous les maux de la société qui n’accepte plus les contradictions inévitables dont elle vit comme si la vérité y avait été jusque-là inscrite en creux. Dans la même veine, le “partage” que les réseaux sociaux, sphères dans lesquelles se glisse insidieusement la manipulation, nous suggèrent en est l’horripilant rappel. Je traverse ce monde, il m’angoisse, il me fait peur, il me fait pitié, il me fait honte. Je ne sais pas où il va. Sûrement pas vers la sagesse. Les plus ignares diront vers la raison, vers le savoir, vers la justice, vers plus de conscience? J’en doute un peu et je crains qu’il n’ignore lui-même ce qu’il est en train de nous préparer. Vers son terme peut-être ? Ce fondement vient d’être vérifié. Trop de fantômes égarés, tout au long de l’histoire, et surtout de notre temps, condamnés à l’éphémère, l’écume aux lèvres, emportés par la haine, ont résolument choisi l’innommable. En même temps d’aucuns se plaisent à arracher les affiches des enfants otages quand d’autres s’amusent à imaginer accommoder les bébés juifs cuits au four avec du thym et du laurier. Dans cette multitude sans individuations, le Mal a remplacé le Bien, avec le visage du Bien. Les salauds ne veulent plus se masquer ! Je ne sais plus qui joue quel rôle. Le monde, accoudé au comptoir de la vie, est là immobile ? il attend avec cette indifférence niaise qui dégouline sur la toile comme dans la vie réelle alors que pour les Juifs Israéliens, le 7 octobre 2023 a fait sauter une barrière physique de protection mais aussi une barrière psychique. Pour les autres juifs à travers le monde, une double déchirure: ils se sentent tenaillés entre la résurgence de l’antisémitisme et l’idée qu’une tache de sang macule désormais Israël comme incarnation d’un éternel refuge tandis que la vieille Europe qui était sur le toit de la civilisation, rongée par le chancre du pouvoir, s’est bel et bien sabordée en l’espace de quelques décennies. Et encore et toujours le même strabisme moral et intellectuel des médias internationaux chaque jour plus immonde : Vision critique acérée envers Israël en légitime défense et indulgence aveugle envers les barbares. On ne sait vraiment le sens de histoire que lorsqu’elle finie et à ce stade la confiance n’est pas totalement restaurable. Qu’on veuille bien se mettre à la place du Juif français à l’esprit simple qui écrit…

À Dieu ne plaise, je veux goulûment continuer à me projeter dans l’avenir, découvrir des activités nouvelles pour plus m’enrichir. Je réalise qu’être vieux n’est pas un handicap majeur et qu’il faut juste pour y remédier se réinventer au fur et à mesure que le dépouillement lié à l’âge se développe; faire des compensations efficaces entre nos facultés affaiblies et d’autres mieux développées pour colorer sa vie car il n’y a rien d’impossible au pouvoir de l’esprit. La curiosité, la créativité, les relations affectives peuvent recomposer la trame de son existence. Cet enrichissement j’aimerais le percevoir chez d’autres, quelle que soit leur l’histoire avec ses lumières mais aussi ses périodes plus sombres. Les stéréotypes négatifs à l’encontre des seniors sont malheureusement nombreux et la question des personnes âgées semble être aujourd’hui la part d’ombre honteuse de la société. Celle qu’on n’hésite pas à mettre sous le tapis…

Avancer en âge invite parfois à se retourner sur soi : Au risque de me priver de mes ancrages familiaux je ne veux plus combattre le gris ou m’épancher sur tel ou tel sujet car rien n’y changera et ça m’affaiblirait. Avec la tendresse que j’éprouve pour eux, mais aussi la certitude que je pourrais heurter, ou décevoir je ne veux être ni l’auteur ni l’acteur de turbulences et de déstabilisations; ces intrications exacerbent les moindres clivages, entretiennent les ressentiments et peuvent donner lieu à d’importants mouvements d’évitements. Je considère plutôt que le silence fournit une garantie de ma sincérité mais au-delà de ces considérations premières, je veux juste accepter le changement inhérent à la marche du monde et rester en arrière de cela pour ne pas le ressentir comme une blessure narcissique. J’aime trop la vie pour l’abîmer ainsi !

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Cet engagement me permet de voir clair dans ma propre existence, d’en saisir l’essentiel et de ne plus faire face à cette société du paraître où la sélection s’opère par le regard des autres ou à la médiocrité des gens qui ne discutent pas du contenu mais seulement des titres et des illustrations qui tapissent ce monde. Ce n’est pas à d’autres fins que j’ai écrit ceci et si ce fut le cas cela n’aura été qu’accident ou apparence. En même temps je ne vise aucunement une quelconque réparation. Dans ce constat ni reproches ni nulle leçon de morale ne sont adressés à quiconque…

Aujourd’hui je choisis d’écrire jusqu’à pas d’heure même si cette vie en décalé pourrait me faire passer pour un réfractaire voire un marginal. Peu importe où le temps me porte, pourvu que j’ai de quoi écrire. Écrire pour résister à la tristesse, à l’angoisse qui me surprend. Écrire aux aurores dans la maison endormie, dans la lumière tamisée et le calme de mon pupitre, ou juste consigner une idée qui surgit. Griffonner de nombreux débuts d’histoires sur des cahiers sans aller plus loin…

Manifestement en renonçant aux censures l’écriture accède à un réel qui n’a plus rien d’un miroir déformant et constitue le moyen le plus universel de mettre en forme son expérience vécue. Quelle que soit la parcelle de l’histoire racontée, c’est toute la vie, avec ses joies, ses déceptions, ses souhaits, mais aussi ses moments de gloire et de réussite qui s’y précipite. Mon écriture s’est plutôt construite de mes silences. j’avais du mal à dire mes souvenirs. Mettre des mots sur des moments de vie, les émotions fugaces étaient pour moi une manière de les trahir et aussi une frayeur de les faire rejaillir. Pendant longtemps j’ai pris ma plume pour une épée, à présent je reconnais mon impuissance. Qu’importe: je fais. Mais cela suffirait-il à justifier une vie ? Et en quoi une vie a-t-elle besoin d’être justifiée ? Me permettra-t-elle de faire taire le silence assourdissant des mots qui ne sont pas dits; me délivrer de ce mal prégnant. Cette soif d’écrire va et vient, parfois plus forte, souvent pulsionnelle, de désir elle devient besoin, exigeante, obsessionnelle. Parfois elle s’éloigne, elle me quitte ou je la quitte. Ce n’est jamais pour longtemps.

J’ai toujours pensé que les écrits étaient les seuls dépositaires de la mémoire; du coup l’observance de la mémoire m’importe tellement qu’il m’arrive même de me reporter à mes textes antérieurs pour la nourrir. Elle est ainsi faite qu’elle retient essentiellement les bons moments et jette sur les mauvais un voile, qui m’interdit d’en conserver le souvenir. Peut-être aussi suis-je mu par la volonté de faire face au temps qui file, qui m’échappe, d’en garder trace et d’établir par ce biais un pouvoir de résurrection. De faire ré-exister. Je m’autorise ainsi le droit de privilégier les thèmes où j’aborde l’avenir avec le passé. Le passé est toujours beau. Le présent qu’on transporte entre deux périodes de bonheur paisible fait mal…

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Le temps d’écrire une phrase et me voilà plus âgé ! Pour que ces souvenirs ne deviennent pas obsolètes je rembobine le temps pour prendre rendez-vous avec ceux qui ont quitté ce monde avant qu’ils n’aient profité de cette liberté qui balise la vieillesse, sans y avoir auparavant déposé et encapsulé notre trame familiale. Dans ce train de souvenirs ils m’accompagnent puis tour à tour à une gare ils en descendent, me laissant seul continuer le voyage. J’en souffre mais la présence immuable des absents, rattachés à d’autres souvenirs, les ressuscite sur l’instant. Je me persuade que mes pensées les sort d’une ouate où ils étaient enfouis…

j’ai passé la grande partie de ma vie à considérer que pour exister le critère le plus important d’un individu était l’intelligence et comme beaucoup, je croyais qu’on devenait intelligent par “contamination” de proximité. J’ai d’ailleurs fréquenté des gens “brillants”. Au fil du temps, je me suis aperçu que l’intelligence couvre tellement de domaines que nul ne peut les embrasser avec la même performance. En ce qui me concerne le virus ne s’est pas installé…

“ Chaque véritable rencontre est susceptible de changer notre vie ” disait Camus. J’ai souvent croisé des personnes extraordinaires sur le plan humain – ils en héritent ou le méritent — qui agissent et qui montrent leur éthique. Des gens habités par un souci de partage et de solidarité qui dans un élan dénué de toute autre signification que l’amour des leurs transmettent des uns aux autres, faisant que les influences s’établissent, se fondent bien, s’enracinent dans les esprits et que le passé ne soit jamais oublier. c’est clairement cela qui a fait leur noblesse. Tout nous vient des autres

L’homme survit et se proroge par le biais de ce qu’il est convenu de nommer les générations. Dans ces échanges intergénérationnels où les âges naturellement se rassemblent, se confondent, se nouent les éléments fondamentaux comme ceux qui me relient actuellement à mon petit fils. Un lien de sang se met d’emblée en place et dans cette relation se crée une réelle complicité plus émotive qu’affective. Cette connexion instantanée nous permet d’en apprendre davantage sur la vie…

Ma vie a été parsemée de grands bonheurs même si parfois des épreuves l’ont singulièrement écorchée mais quelque soit son âge rien ne vaut une vie de surcroît quand elle est agréable et généreuse en bienfaits.

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Mes enfants ont à leur tour des enfants et pour cela je leur suis infiniment reconnaissant. Ils sont l’Amour, ils sont la Satisfaction, ils sont l’Innocence, ils sont l’Avenir, ils sont l’Espérance, ils sont Précieux. Ils sont Tout. Je pense à chacun d’entre eux avec un sentiment de gratitude pour ce qu’ils m’apportent au quotidien et une immense fierté pour ce qu’ils sont. Cela me rappelle un proverbe biblique: “ce que tu as enterré dans ton jardin ressortira dans celui de ton enfant“

Mes infortunes n’auront été que des épreuves, que des moyens pour rebondir. La colère ? le pardon a pris le relais. Je suis revenu aux fondements que l’ont m’a enseignés: le coeur. Mon souhait ? Être en paix avec ma conscience, me rendre utile à l’excès, et avoir envers mes proches le même regard enjoué de nos petits enfants qui viennent à nous avec amour et un incommensurable besoin d’appartenance. C’est là où j’ai l’intention de passer mes prochaines années…

FREDAL

Je me souviens de mon premier poème , F. l’a reçu sur une feuille de papier que j’avais roulée en parchemin et vieillie en brûlant délicatement les bords à la bougie. — J’aimais qu’elle fut jaunie, tachée, racornie avec une odeur de feuilles mortes —

Elle était brune ( pas la feuille, ni la bougie, ni la cabine photomaton des années 70, mais la belle ! ) Par un de ces hasards qui n’arrivent qu’aux jolies femmes, elle était dans ce moment où toutes ses beautés brillaient d’un éclat particulier qu’il me fut difficile de m’en soustraire. Innocente et pure, elle paraissait avoir seize ans. Elle portait un blouson en fourrure de lapin, de couleur marron foncé, garni sur les côtés de cuir de chevreau noirci, qui lui allait à ravir. Il rehaussait le teint d’un pâle doré de son visage. Ses cheveux noirs séparés en deux bandeaux sur le front lui donnaient un air de candeur. Sa figure d’un ovale à rendre fou un peintre, ses traits si fins, si déliés, la grâce qui l’habitait, révélaient les délicatesses d’une belle âme. Elle offrait cette perfection qui n’appartient qu’à la femme dont nous sommes épris.

Ses cheveux noirs séparés en deux bandeaux sur le front lui donnaient un air de candeur.

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