Une Âme m’a parlé

A l’approche de ce jour Unique, dans les allées du cimetière, où l’air est si desséché que les larmes ont humecté mes yeux, je m’immobilise longuement devant les stèles qui me sont familières et tête basse je donne corps à la certitude que cette résurrection adviendra et qu’elle surviendra selon la volonté Divine. Pourtant, j’avais toujours pensé et écrit que Dieu nous a donné vie pour que nous en profitions. J’espérais une vie pleine, exhaustive si j’ose dire, comme s’il n’y avait pas de résurrection dont l’anticipation de l’idée risquerait de diminuer l’intensité de ma vie.

Cette décision n’est pas extérieure. Elle m’habite depuis toujours. D’une part je ressens un profond besoin de rendre visite à mes parents à l’approche de ces fêtes et notamment à celle du grand pardon. D’autre part tout me conduit là-bas, puisque ma foi intellectuelle s’est construite progressivement sur les lieux mêmes des opérations et donc finalement, découvrir ces endroits où tout est arrivé était comme un aboutissement logique.

Ha Kippour, à Constantine! La ville sur le rocher ou traditions et convictions se cramponnaient au réel, en dépit du progrès dans leur formes les plus archaïques. Ces survivances peuvent paraître ingénues ou désuètes, mais leur perpétuation produisait l’illusion de vivre dans un monde immuable. Dans un monde où se côtoyaient le coutumier et le magique, le quotidien et le sacré, l’ordinaire et le miraculeux.

Pourtant je n’ai jamais rien écrit et raconté qui ne se rattache, de près ou de loin à cette terre où je suis né, où Maman et Papa ont emporté toutes les beautés de l’exil. C’est vers elle aujourd’hui, devant ces stèles où ces Âmes m’interpellent, que volent toutes mes pensées.

En ces Yom Kippour je me souviens de l’éternuement du tabac à priser qui circulait d’une main à l’autre, avec toujours pour l’offrant le petit baiser d’un doigt humide posé sur la paume, mais je me rappelle surtout de ces hommes si pieux, aux portes de la grâce, en instance de purification, bannissant le cuir, aux semelles de corde, tout habillés de blanc, au plus chaud, au plus haut de l’exaltation. Je les vois, dans le tumulte des confessions et des aveux, des remords et du repentir, inondés de petitesse, se prosterner d’humilité, se frapper la poitrine à plein poing, murmurant les yeux mi-clos « Ô Dieu redoutable aux actes, fais surgir le pardon en nous ». Ces vénérables se levaient puis s’asseyaient, et se relevaient dans un grand envol de châles en laine blanc noir, sauf ceux ayant fait vœu de rester debout immobiles toute la sainte journée ne s’autorisant parfois que I’accotement au mur.

… et se relevaient dans un grand envol de châles en laine blanc noir

Ce Yom Kippour, qu’on le vive à la synagogue ou chez soi, est un jour singulier, grand et redoutable. Le jour du Grand Pardon rappelle aux juifs, par les prières qu’ils récitent, par le jeûne qu’ils observent, par l’examen de conscience qu’ils creusent en leur mémoire, leur sensibilité aux autres à mieux les comprendre, à pardonner les malentendus et leur ouvre alors la porte de la communion des hommes.

Cha’aré Guéoulah, la Délivrance, la réunion où chacun fait la paix avec lui même et avec l’Autre. Où chacun peut accéder à cette foi aveugle et insensée, primitive et folle, et se comporter de telle manière que les valeurs qui éclairent son existence soient validées par sa propre existence. En même temps, puisque nous y sommes, par sa composition le mot «kippour» à l’évidence n’invite t-il pas chacun (vav) à ré-interroger dans sa vie ses gestes (caf), ce qu’il a dit (pé) et ce qu’il a pensé (rech).

Israël est un peuple qui fut dispersé aux quatre points cardinaux du monde et de l’esprit et qui retisse lentement l’étoffe que le glaive a parfois déchiré d’une Tente qu’en plein Désert l’on nommait « Tente de la Rencontre » . Comme le dit la bouleversante prière de Kol Nidré « dans l’Assemblée d’en Haut et dans l’Assemblée d’en Bas » les juifs non-pratiquants n’en respectent pas moins eux aussi la grandeur de ce jour-là parce qu’ils savent qu’aucune des indifférences dont ils peuvent faire preuve, aucune abjuration, des renoncements à quoi ils auraient consenti ne saurait faire obstacle à leur entrée de plein droit dans toutes les synagogues du monde. Pour l’avoir constaté à Kippour, dire qu’à ce moment rien ne change provient soit d’une déficience de la vue, soit d’une mauvaise foi. La première se corrige aisément, la seconde se combat sans dommage.

https://youtu.be/sbSmJHBcKVc

Je souhaite que vous trouviez en cette nouvelle année la prospérité, la santé, le bonheur et la réussite pour que se déploient en vous toutes vos potentialités, et je reste persuadé que le mérite dû par vos actions sera un avocat de poids au jugement prochain et tout au long de cette année.

Gmar h’ativa Tova

FREDAL

Ce n’est pas sans raison que voyageant entre mémoire et histoire j’ai souvent écrit que les sages après leurs décès sont considérés comme vivants tant leurs actions leur survivent et illuminent encore et encore les générations futures.

En ce jour leur mémoire m’oblige… «Hachamim bemitatam nikraim hayim».

Le Kippour des Absents

https://myhr.tg/1VRpkuXa

En cette approche éprouvante de Yom Kippour,
Dans le lourd déclin des dix Jours tant redoutables,
Chez les boulangers nos mères œuvraient au four
Avant de déployer les splendeurs de leurs Tables…

Elles avaient au cœur le don et l’abandon,
Et leurs mains invitaient la Présence éternelle;
Le Sinaï entendait leurs quêtes de Pardon
Plus doux que coings confits et qu’amandes au miel,

Mais dans ces mêmes jours nos esprits peu tranquilles
Font un autre compte au livre des Jugements
Pour savoir quand, aux Beth Hah’aym de la Ville,
Nos êtres chers sauront la fin de leur Tourment,

Tourment des tombes orphelines, sans pur Kaddich,
De nos rabbin chéris, sevrés de nos prières;
N’enseignaient-ils pas: « Bni, Ichtadel lihiot ich »
Aux classes turbulentes des Midrachs d’hiver?

Loin, très loin, au dessus de la Cité natale
Les Cieux récitent ils notre Ah’ot ketana?
La mémoire se perd aux ruptures brutales,
Que deviens tu sans tes Juifs, benti Ksemten’ia?

Une époque là bas s’est très durement close
Puis dans l’exil amer s’est tracé un sillon,
En nos vies divisées une route est éclose
Ouvrant pour nos esprits les portes de Sion.

Puissent nos prières consoler les Gisants
Aux à-pics du Rocher que creuse notre absence:
H’on tah’oun âl baneikha, grand Dieu bienfaisant
Qui nous consolera tous par sa droite constance

Car nul ne jurera que Demain soit Hier
Et que jamais plus jamais l’on ne reverra
Les eaux de Djebel Ouah’ch et de la Pépininière,
Ni les rues où dansaient les rouleaux de Torah

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